jeudi 19 mars 2009

L'économie en question devant l'électronique ou De l'économie de l'usage

L'économie en question devant l'électronique

par Ahmed Henni
Professeur à l'Institut des sciences économiques d'Oran

paru dans Économie et humanisme
n° 289 mai-juin 1986

En ces temps d'ultra-modernité et de crise, nous voici confrontés, et les pays en développement en particulier, à un défi majeur et multiple: celui posé par l'électronique. Celle-ci apparaît immédiatement comme nécessaire, d'avant-garde, et, surtout, totalisante. Elle intervient pratiquement dans tous les domaines de l'activité humaine. Au-delà de ces évidences, l'électronique nous convie surtout à un réexamen de nos moyens de connaissance et d'action. Elle invite à la formulation aussi bien de nouvelles stratégies de développement qu'à de nouvelles analyses des fondements de ces stratégies.
L'électronique renvoie, par sa totalité, à l'unité de l'activité humaine. Industrie, certes, l'électronique se nourrit et s'appuie sur la création culturelle et scientifique. Elle est immédiatement écriture: de logiciels, de programmes, scenarii, chansons, etc. Mieux encore, dans l'industrie des calculateurs, sont aujourd'hui apparus des produits qui ne sont ni matériels (hard) ni immatériels (soft) mais caractérisés par une fusion de la matière et de l'écriture (firm ware). On n'y distingue plus la matière de la matière grise. Ainsi, le premier échange humain, le langage, retrouve ses lettres de noblesse mais aussi appelle à de nouveaux pouvoirs. à de nouvelles hiérarchies. de nouvelles dominations qu'il convient de mettre à jour.




Le procès d'usage et non pas d'usinage

Je proposerai de définir l'électronique comme activité à double production: une première production assurant la fabrication des supports matériels (quincaillerie) et une deuxième production assurant l'usage de ces produits (programmes). Sur le plan financier, la valorisation de capital ne se fait plus dans le seul procès de production matérielle, mais se poursuit dans ce que j'appelle le procès d'usage (confection et consommation de programmes). Un ordinateur, aujourd'hui, coûte davantage à l'usage (conception de logiciels) qu'à l'usinage (quincaillerie). De même, un appareil de télévision rapporte davantage aux producteurs de programmes qu'à ses fabricants.
L'industrie électronique se présente donc comme un mouvement unique, une totalité, (celle de la vie), recouvrant plusieurs procès simultanés et successifs, dont l'un des plus importants, aussi bien sur le plan de la production que de la valorisation est le procès d'usage. D'où la notion de « filière» qui a été avancée il y a quelque temps. Ce concept ne fait, comme les autres, que traduire les nouveaux types d'hégémonies apparus à travers l'électronique.
La notion de procès d'usage comme terme de la valorisation apparaît nettement dans l'analyse du cycle de certains produits nouveaux, les produits de l'électronique en particulier. Un appareil de télévision, par exemple, n'a aucune valeur sans images et ce, quelle que soit la quantité de matière ou de travail contenue dedans. La valorisation ne se suffit pas ici d'un procès de travail et d'un procès d'échange. La valorisation d'une pomme se clôt par son échange. Ici, c'est seulement une fois le procès de travail accompli, une fois l'échange réalisé, que commence un troisième procès: le procès d'usage où se poursuit et s'achève la valorisation de la marchandise et où commence une nouvelle valorisation. En mangeant une pomme, on ne valorise aucun capital. La valorisation s'est achevée avant, dans l'échange. En regardant son téléviseur, on participe à l'achèvement de la valorisation du téléviseur, on participe à l'achèvement de la valorisation du téléviseur-matière et à l'accomplissement d'une nouvelle valorisation liée à l'usage d'images. L'acte d'usage est plus important que la « valeur d'usage ».
Cette inégalité dans l'usage devient aveuglante pour certains produits nouveaux, les biens électroniques en particulier. Il y a des hiérarchies dans l'usage induites – non par le revenu et l'échange, comme dans l'ère de l'acier, mais par l'usage lui-même. Un téléviseur peut s'utiliser comme meuble mais aussi comme récepteur d'images lorsqu'elles existent. Et tout le monde ne regarde pas les images de la même façon. Cette inégalité dans la consommation, cette existence d'un procès d'usage va à l'encontre d'une uniformisation-standardisation par le bas. Le procès d'usage exige une différenciation qui se traduit par un regain de qualification dans le procès de travail lui-même. Un analphabète peut consommer et produire de l'acier mais il ne sert à rien devant une console.
La possibilité pour le téléviseur, par exemple, de s'accomplir comme support de valorisation ne tient pas à une quantité de travail incluse en lui mais à l'existence d'images, à l'existence d'un véritable procès d'usage. Et celui-ci suppose deux choses:
1) l'existence d'une culture ;
2) l'existence d'une valorisation dans l'usage, au-delà de la fabrication et de l'échange de l'appareil.
Le développement de l'industrie électronique montre les nouveaux liens qui apparaissent entre accumulation et usage. Ceci n'est certainement pas propre à cette industrie et existait bien avant. L'électronique le met cependant en évidence d'une manière très nette. Outre les caractéristiques matérielles des produits qui les rendent utiles, outre l'échange de ces produits, l'acte et procès de leur usage conditionne leur développement.
Dans le cas de l'électronique, ce développement dépend de l'existence de programmes (logiciels, sons et images) dérivés d'une activité culturelle et conditionnant la valorisation. Pas de scénaristes, pas de films. Pas de chanteurs ou de musiciens, pas de disques. Pas de logiciels, pas d'informatique. Le programme n'est pas un bien complémentaire qui, une fois acheté, complète le produit et met fin à la valorisation. Si l'achat d'une serrure met fin à la réalisation-valorisation d'une porte, le programme, au contraire, se renouvelle et se différencie continuellement, alimentant un procès d'usage, source d'une valorisation constamment inachevée. Le téléviseur est continuellement alimenté en images différentes, le calculateur de logiciels, la radio de sons, etc. La valorisation du capital ne s'arrête pas avec l'échange mais se poursuit dans l'usage.
Il existe une firme qui, à notre connaissance, a utilisé systématiquement le procès d'usage comme support de valorisation. Quand apparurent les premiers calculateurs, la firme I.B.M. a très bien vu que la valorisation ne s'arrêtait pas à la fabrication et l'échange. Ce constructeur a très longtemps valorisé son capital par une maîtrise du procès d'usage de ses matériels. Si cette firme donne l'exemple d'une maîtrise complète du cycle entier de valorisation. d'autres entreprises ont, depuis toujours, tenté de l'opérer par le biais d'une diversification visant à s'accaparer la production et les marchés liés au procès d'usage.
Cependant, avec l'électronique, la question du procès d'usage et de la valorisation dans l'usage devient d'une clarté saisissante. En effet, le défi majeur de l'électronique ne réside par seulement dans les caractéristiques matérielles des objets qu'elle fabrique et vend mais surtout dans le contenu culturel de ces objets (images, sons et logiciels) qui donne naissance à un véritable procès dans l'usage et pousse les limites de la valorisation. L'objet n'est plus une quantité de matière et de travail mais un support matériel préalable à une valorisation plus poussée par le biais de l'usage.
On assiste alors à un passage de l'ère de la valorisation-matière, ère de la valeur-substance et quantité, ère de l'acier et de la canonnière, à l'ère de la matière-support, matière-prétexte d'une valorisation exploitant l'usage dans tout ce qu'il a de culturel et superstructurel (âge du contrôle des réseaux et des programmes). Ce développement dépend étroitement de la capacité d'offre en produits culturels (images, sons) et intellectuels (logiciels), elle-même soutenue par des moyens financiers adéquats. On assiste alors à l'émergence d'une nouveau type de capital, associant banque, industrie et moyens intellectuels, et se valorisant principalement dans le procès d'usage. Nous pourrions le désigner par capital médiatique ou en terme générique capital usagiel. Des rentes apparaissent ainsi au bénéfice des propriétaires de droits sur les logiciels, données, images et sons, et, plus généralement d’œuvres scientifiques, littéraires ou artistiques.
On peut en conclure:
1) que le procès d'usage appelle à la constitution d'un nouveau type de capital, mieux approprié à la valorisation induite par ce procès ;
2) que des rentes d'un type nouveau apparaissent, liées à la propriété de créations intellectuelles ;
3) que l'approfondissement de la valorisation du capital par le biais du procès d'usage implique une réduction des ressources consacrées aux autres modes de valorisation, d'où restructuration du capital social et ré-orientation-requalification du travail.

La valorisation de la matière support, le savoir-faire de l'usager

Le procès d'usage appelle un savoir-faire de la part de l'usager consommateur. Il survient alors une discrimination dans l'usage et des inégalités dans la consommation du même produit, liées non au revenu mais à la possibilité de l'être du consommateur. Outre que l'usage va exiger un savoir-faire, sinon un savoir de base, les buts et les modalités de cet usage vont différer d'un individu à un autre, d'un groupe social à un autre et d'un pays à l'autre.
L'usage d'un terminal, d'un système vidéo ou d'une chaîne acoustique, outre qu'il exige un minimum de savoir-faire, ne s'opère ni de la même façon ni en fonction des mêmes objectifs. Il n'y a pas, comme semblait le montrer l'ère de l'acier, neutralité de l'usage et égalité dans l'usage. L'ère de l'acier semblait s'appuyer sur la seule subjectivité physiologique du consommateur, sur une subjectivité limitée – le salaire chez les classiques est lié à cette subjectivité physiologique. La notion de subsistance, et même celle de « besoin », disparaissent quand il y a procès d'usage. La demande n'est plus une demande de subsistances ou de satisfaction de « besoins» mais une demande d'usage des produits. Il convient alors de parler d'usage, non de « besoins », On achète pour l'usage.
Ainsi, l'inégalité Occident-Reste du monde peut ne plus reposer sur une quantité de matière disponible, mais sur la nature des subjectivités mises en œuvre dans le procès d'usage. Dans beaucoup de pays, ce procès d'usage ne peut être alimenté par une subjectivité locale. Il faut importer des programmes (logiciels, images, sons) et mettre en relation une subjectivité extérieure avec la subjectivité locale. Une telle situation se traduit immanquablement par la domination de la subjectivité extérieure sur la subjectivité locale. Ceci veut dire que dans ces pays on ne réalise pas complètement la valorisation des produits. On peut fabriquer des téléviseurs mais importer des programmes. Faute d'avoir reconnu l'importance ou l'existence d'un procès d'usage, on ne « boucle» pas la valorisation; le cycle local de valorisation est amputé de sa partie « usage ».
En ignorant que le cycle complet de valorisation inclut un procès d'usage, on se contente d'une fabrication matérielle – attitude dont le présupposé reste la valeur-matière liée à l'ère de l'acier – et de ce fait, on offre à un autre capital – souvent extérieur – de se valoriser dans le procès d'usage. Fabriquer des téléviseurs sans programmes, c'est ouvrir un débouché au capital extérieur. Ceci nous montre nettement que le procès d'usage est un vrai procès de valorisation.
Pour ne pas avoir saisi cette dimension et pour s'être appuyé sur une conception substantiviste de la valeur – la valeur-acier du XIXè siècle – certains pays (Union soviétique) ont tenté de maximiser la quantité de matière produite, la valorisation par un procès de fabrication matérielle, tout en minimisant la valorisation liée à l'usage. Voulant échapper à la dépendance en ne produisant que de la richesse-matière, ils y retombent par le biais du procès d'usage. Dans les conceptions liées à la valeur-acier, la dépendance disparaît lorsqu'on se donne les moyens de la fabrication matérielle. Rien de tel dans la dépendance liée au procès d'usage. On peut toujours disposer des moyens matériels pour fabriquer un film, mais ceci n'implique pas qu'on puisse en réaliser un (faute de scénariste par exemple ou d'acteurs). De plus, dans une conception de la valeur-acier, même lorsqu'on ne peut assurer la fabrication matérielle, on y pallie par une seule acquisition définitive en attendant de lancer sa propre fabrication. On importe une fois une machine et c'est terminé. Ici, rien de tel. On ne peut importer un seul film et le repasser tous les jours.

Procès d'usage et crise

Dans les pays où la notion de procès d'usage est absente, celle de coût d'usage l'est également. Dans une conception acier de la valeur, il n'y a pas, bien évidemment, de coût d'usage mais seulement des coûts de production. Quand la richesse est assimilée à la quantité de matière produite, le « service » n'est pas considéré comme porteur de valeur parce qu'il n'est pas un travail cristallisé dans une matière.
Personne, ni Marx lui-même, ne mangerait dans une assiette sale. Cependant, l'acte de laver l'assiette qui redonne à l'objet la valeur qu'il n'avait plus – une assiette sale n'a aucune valeur d'usage – ne crée pas de valeur, parce qu'il ne peut être cristallisé dans la matière. Dans cette conception, il n'y a pas de coût d'usage (ni de lave-vaisselle d'ailleurs). La richesse réside dans la fabrication de l'assiette, non dans son lavage quotidien. Seulement une assiette sale n'est plus une assiette.
Ceux qui ont compris l'importance du procès et du coût d'usage fabriquent eux, par contre, des assiettes en papier que l'on peut jeter. L'exclusion du procès et du coût d'usage entraîne plusieurs conséquences:
1) l'exclusion du travail domestique de la sphère de création de valeur;
2) l'exclusion de l'activité de services de cette même création.
Quand le travail qui ne se cristallise pas dans une matière est exclu de la formation de la valeur, quand le coût d'usage n'est pas pris en considération, une possibilité de crise apparaît. Ce sera une crise de valorisation incomplète. Ainsi en est-il quand l'activité de services est atrophiée et crée une dépendance en services et produits intellectuels. Les pays qui maximisent la fabrication matérielle seulement sont, en général, ceux qui connaissent ce type de crise. De même ceux qui excluent le coût d'usage domestique du champ de la valeur. .
Un deuxième type de crise apparaît quand le coût d'usage prend une trop grande importance dans le processus de valorisation. Le procès d'usage peut devenir l'élément essentiel de ce processus et entraîner une crise dans la valorisation purement matérielle (la fabrication des supports d'usage).
Un troisième type de crise apparaît sur le plan physique, cette fois-ci, lorsque l'inexistence d'une valorisation dans l'usage compromet physiquement le développement des industries de fabrication de supports. Faute de logiciels appropriés, l'industrie des micro-ordinateurs ne se développe pas dans certains pays. Pas d'images, pas d'industrie de la télévision.
On ne peut ici rappeler les exemples innombrables qui conviennent. L'inexistence d'une valorisation dans l'usage peut impliquer l'inexistence des industries correspondantes, liées au procès d'usage ou de fabrication matérielle , et donner naissance à une crise industrielle.
La crise peut survenir autrement: l'ère de l'acier se proposait de transformer les gens en O.S. par une réduction draconienne des actes dans l'usage de la force de travail, des machines et des produits. Tout procès d'usage devait être réduit à sa plus simple expression, la richesse se traduisant dans l'accumulation d'un maximum de matière. Or, l'usage de force de travail ne se réduit pas à une quantité de force disponible, celui des machines ne se réduit pas non plus à une quantité d'équipements disponibles ni celui des produits à une quantité de matières consommables.
La valorisation ne peut uniquement tenir à une reproduction élargie d'O.S. mais elle exige la prise en compte d'éléments tenant à l'usage seul et non à la matière physique ou financière. La reproduction élargie d'O.S. dispensateurs de force de travail et, en même temps, consommateurs par destruction physique des marchandises qu'ils produisent, n'assure pas une valorisation complète du capital.


De l'industrie à la poésie

Le renversement opéré par l'apparition de l'électronique est donc double: pratique et conceptuel. Je donnerais l'exemple spectaculaire suivant: l'industrie de la reproduction du son (électrophones, chaînes Hi-Fi, compact-disc) fabrique du matériel dont l'usage exige la production de disques, par exemple. Ceux-ci n'existent que s'il y a de quoi les « remplir », s'il y a quelque chose à écouter: des chansons, par exemple. À leur tour, les chansons doivent leur existence à celle de chanteurs et musiciens. Et, en fin de compte, de poètes.
Sans poètes, pas de chansons, pas de disques, pas de tourne-disques, ni d'industrie de fabrication matérielle. Cet exemple, un peu simpliste, permet de révéler des cheminements et des liens entre matière et matière grise, qui ne sont pas propres d'ailleurs à l'électronique, et qui invitent à repenser aussi bien les notions de développement industriel que de travail productif. Le développement industriel apparaît ici ombilicalement lié à une création culturelle et scientifique préalable et conséquente.
Si la poésie est une condition de l'industrie du disque, si la production de poésie est valorisante pour la matière appelée disque, tourne-disque ou autre, quel est dans ce cas le travail producteur de valeur ? Celui du poète ou celui de l'ouvrier du disque? Sans poésie, sans contenu, le disque n'a aucune valeur. Sans logiciel, l'ordinateur n'a aucune valeur. Sans écriture, l'assemblage de pages blanches ne fait pas un livre. Ce procès d'usage devient aujourd'hui un meilleur moyen de valorisation que la fabrication ou l'échange des produits.
Les besoins de l'électronique en programmes (images, sons, logiciels) sont tels que l'offre de programmes en est devenue un moyen de valorisation meilleur que la fabrication de matières. La production qui alimente le procès d'usage est devenue celle qui valorise le mieux le capital. Ce qui n'était pas le cas dans l'ère de l'acier et la valeur-matière. Dans celle-ci, l'usage du produit était davantage une destruction immédiate ou différée de l'objet qu'un procès exigeant un savoir-faire et une continuelle reproduction. Dans le procès d'usage le produit doit au contraire être conservé. Sa destruction ferait disparaître toute valorisation dans l'usage. Plus la destruction d'acier est rapide, plus la rotation de capital s'accélère. Ici, au contraire, on a intérêt à ce que l'usager maintienne un procès d'usage continu sans détruire la matière. Un téléphone en panne et ce sont autant de communications en moins. C'est dans sa consommation – non productive – que se valorise le matériel dans le procès d'usage.
Une vidéo-cassette rapporte davantage aux propriétaires des divers droits culturels qu'à son fabricant. On estime à l'heure actuelle que le tiers des revenus de l'industrie de la télévision revient aux producteurs de programmes. Le capital serait moins en quête d'ouvriers que d'auteurs et de consommateurs aptes à prolonger le procès d'usage. Réduire le temps d'usine (la valeur-matière) et accroître la valorisation dans le procès d'usage; former donc les gens en conséquence et, à la limite, faire du procès d'usage un procès de travail (travail à domicile sur des consoles).
Ce nouveau type de valorisation engendre de nouveaux conflits d'intérêts dans la sphère du capital mais également de nouvelles structurations aussi bien dans la production que dans l'organisation du travail ou dans les cycles de valorisation. En électronique, la diversification vise essentiellement le procès d'usage.
En 1982, les revenus des télévisions payantes américaines ont atteint 2,4 milliards de dollars, alors que le chiffre d'affaires des productions d'appareils (consoles d'ordinateurs comprises) n'atteignait que 5 milliards. Or, la télévision payante n'est qu'une des formes de valorisation dans le procès d'usage.
La valeur d'un produit ne tient donc pas uniquement à son usage matériel ou à sa fabrication matérielle (ainsi qu'il se devait dans. l'ère de l'acier). Aujourd'hui toute valorisation de capital, et notamment dans l'électronique, repose sur un double procès: un procès de production matérielle et un procès d'usage, c'est-à-dire une double production, celle de disques et celle de chansons.
Dans ce cas, la poésie est-elle productive de valeur? Certainement. Et ceci nous permet de nous rendre compte que le concept de travail « productif» ou «improductif» renvoie à une situation historique précise ou les enjeux de pouvoir impliquent son apparition: bourgeoisie faisant du travail en usine le seul créateur de valeur ou « classe » ouvrière visant le pouvoir en s'auto-légitimant par le label de productive. Le docteur Quesnay, qui vivait au XVIIIè siècle dans le cadre d'autres enjeux de pouvoir, qualifiait tous ces groupes de « stériles ». À leur tour, bourgeois et ouvriers prendront leur revanche en qualifiant les autres de « stériles» ou «improductifs» ou « parasites » ou «oisifs» (Saint-Simon). Il s'agit donc de trouver les concepts reflétant également notre situation historique présente et traduisant les enjeux de pouvoir qu'elle recèle. La prétention à échapper à l'histoire par la construction de concepts valables en tous lieux et tous temps est certainement vaine.
Après donc l'époque du commerce industrialisant (mercantilisme), celle de l'agriculture productive (physiocratisme), et celle de la sidérurgie entraînante (capitalisme classique et marxisme), se dessinent aujourd'hui les prémices d'une nouvelle époque. Y réapparaît une notion centrale: celle de l'unité de l'activité humaine, unité de la poésie et de l'industrie. Voici donc le défi que nous lancent les nouvelles stratégies du capital international. Nous le relèveront d'autant plus valablement si nous nous appuyons sur une création scientifique et culturelle capable de consolider nos industries d'avenir. Si l'acier reste industrialisant, l'écriture le devient davantage encore.


ahmed henni
I.S.E. Oran

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Membres

Qui êtes-vous ?

Professeur d'Université depuis 1975 (Paris IX, Oran, Alger, Arras) Directeur général des Impôts (Alger 1989-91) Membre du Conseil de la Banque centrale (Alger 1989-91)