jeudi 19 mars 2009

Capitalisme patricien et autoritarisme monétaire

Revue Raison Présente n° 165 (avril 2008)
Dossier : Critiques du libéralisme économique

Figure au sommaire :

Capitalisme patricien et autoritarisme monétaire

par Ahmed HENNI
Université d’Artois

L’actualité du mois d’août 2007 a été marquée par un double événement : des perturbations boursières provoquant des affolements ici et là et un silence quasi-universel des pouvoirs politiques « élus », partis doublement en vacances d’été et en vacances de pouvoir monétaire. Ce sont uniquement des experts travaillant dans les fonds de gestion de titres ou dans les rouages des banques centrales qui se sont activés et exprimés. Un monde où personne n’est élu par le suffrage universel et où, d’un côté comme de l’autre, seule la « compétence » financière et monétaire compte.
Voilà qui rappelle étrangement les principes de gouvernement de Rome où seuls les « patriciens », non-élus, possédaient les qualités requises pour contrôler les affaires publiques et les affaires tout court et s’érigeaient comme « classe » dominante d’un type particulier, celle où les individus, pour s’enrichir, peuvent ne pas s’engager dans des rapports de production antagoniques directs, laissant ceux-ci à des gérants, et profiter collectivement d’une richesse qu’ils s’accaparent et redistribuent entre eux. La capture qu’opéraient ces patriciens se faisait sur leur extérieur, grâce à l’armée et aux conquêtes de territoires. Plus tard, à Venise, cette capture sur son extérieur s’opèrera grâce au savoir-faire marchand et, de ce fait, la « compétence » marchande donnera accès à l’inscription au Livre d’or et au club patricien qui détenait le pouvoir.
Le capitalisme actuel de rentes financières[1] pratique ce type de capture sur son extérieur (la sphère matériellement productive), laissant à d’autres la charge de l’antagonisme direct de production et leur imposant des prélèvements par des mécanismes essentiellement monétaires et financiers enrichissant un club de patrons et d’experts, connaisseurs des pratiques monétaires, de crédit, d’émission de titres, de réorganisation et restructuration des entreprises, de montages financiers et autres créations de produits dérivés. Ce cœur financier[2], que représente une minorité d’individus, structure et contrôle le système par de minuscules participations ici et là (moins de 5% du capital en général) et, par un don d’ubiquité, se retrouve présent dans tous les conseils d’administration des entreprises. A leur service et associés souvent à eux[3], des experts de haute voltige, dits « golden boys ». Tous ces individus sont devenus les personnages les plus riches du monde – en France, les noms de MM. Arnault[4], Bolloré[5], Messier, Pinault[6], etc. sont devenus familiers du grand public – et ont toujours évité de s’engager dans les processus qui exigent d’être acteur direct dans un antagonisme de production. Ils préfèrent déléguer cela à des fondés de pouvoir dirigeant directement les entreprises et apparaissant comme des patrons capitalistes sans pour autant, le plus souvent, pouvoir accéder au nouveau milieu « patricien ».

1. Où le contrôle des procédures financières donne le pouvoir de prélèvement

Les experts financiers d’aujourd’hui, commissionnaires, structurateurs et restructurateurs d’affaires qui s’activent dans les salles de marché bancaires ou dans les bureaux des Banques centrales forment une couche sociale qui laisse les chefs d’entreprises aller au charbon de l’antagonisme direct tout en s’appropriant in fine la plus grande partie de la richesse produite ou en contrôlant les règles monétaires de sa redistribution. Aucun titulaire des 50 plus grandes fortunes du monde n’est, aujourd’hui, impliqué dans un antagonisme direct de production. Ils s’activent tous dans la circulation des signaux monétaires et financiers, adossée à celle des différents signaux électroniques charriant mots, images, sons, etc.[7]. Signe des temps, le grand patronat français vient, pour son syndicat, de choisir pour la première fois (2005) une présidente qui dirige un institut de sondages (Mme Parisot dirige l’Institut Français d’Opinion Publique -- IFOP).
Le maître mot de ce nouveau pouvoir est endettement : d’un côté, on contrôle les entreprises en s’endettant pour les racheter ou en les endettant auprès de banques ou en aidant les Etats à gérer leur déficit, et, de l’autre côté, les bureaucrates des banques centrales surveillent cet endettement, le rendent possible ou le freinent, ce qui modifie la redistribution des richesses entre les acteurs.
Entrons dans ces mécanismes. La presse a fait connaître à l’opinion ces fonds d’investissement qui, partant de rien, empruntent aux banques pour racheter des entreprises, les découper et, tout en vendant les départements déficitaires, remettre à flots le reste en exigeant des gérants une plus grande rigueur dans l’antagonisme direct par un retour net de 15% et, au bout de trois ans en général, revendent et s’en vont avec une belle plus-value. Ces « prédateurs », comme on dit, sont supposés être, en général, américains. Mais M. Tapie n’a pas fait autre chose en France. Les procès dont il a fait l’objet ont permis d’avoir une idée des montants monétaires qu’il a pu accumuler comme cela[8]. L’aventure de M. Messier est plus grandiose : se constituer un empire international (Vivendi + Universal ) grâce à l’endettement (23 milliards d’euros en 2002). Des entreprises « respectables » ne font pas autre chose. Pour racheter « Orange », France télécom de M. Breton s’est endettée de plusieurs dizaines de milliards d’euros (68 milliards en 2002 et 42 en 2007).
L’autre catégorie d’experts a pour modèle M. Soros, émigré hongrois aux Etats-Unis qui, en spéculant à la baisse sur la livre sterling a, dans les années 1980, jeté les bases de sa fortune actuelle. Ces spéculateurs sur titres et monnaies font aujourd’hui un chiffre d’affaires supérieur à la production physique mondiale. Grâce à l’électronique, ils peuvent intervenir en direct dans toutes les places financières du monde faisant ainsi déplacer sans arrêt des sommes proprement vertigineuses. Lorsque les transactions internationales sur marchandises atteignent aujourd’hui un total d’environ 5.000 milliards de dollars, les transactions sur papier (titres, monnaies, contrats adossés sur produits, titres ou monnaies – produits dérivés comme on dit) atteignent 600.000 milliards de dollars. Lorsque tous les acteurs du commerce international font un profit de 1% sur leur chiffre, ils empochent 50 milliards par an. Lorsque les acteurs de la finance internationale font 0,10% de bénéfice, soit un taux dix fois inférieur, ils empochent 600 milliards par an.
Toute cette richesse repose sur la possibilité de s’endetter qui, elle, est contrôlée par d’autres experts, ceux des Banques centrales. Lorsque la Banque centrale européenne décide de monter d’un point son taux directeur, les débiteurs doivent transférer au profit des créanciers un point de richesse en plus. En France, cela fait annuellement 30 milliards d’euros qui peuvent ainsi passer de certains individus à d’autres individus. Pour le Trésor public français, cela fait 3 milliards d’euros d’intérêts à payer en plus à ses créanciers, soit autant de transferts attendus sur le compte du contribuable français. Les Banques centrales ne jouent pas seulement sur le coût de l’endettement. Elles règlent aussi son volume et peuvent, ainsi, avantager certains acteurs et en défavoriser d’autres. Par conséquent, elles règlent par les taux et le volume la redistribution des plus-values que font apparaître les experts des marchés.
Les faillites d’individus débiteurs ou de fonds intervenues en été 2007 aux Etats-Unis sont dues à ce type de mécanisme. Des taux hauts pénalisent les emprunteurs en difficulté. Les contrats détenus par certains prêteurs se dévalorisent et ils ne peuvent plus les utiliser comme garantie de leur propre refinancement. Les banques les boudent. Ils font faillite aussi. Comme dans tous les cas de ce type, il y a transfert de richesse de certains individus à d’autres (le nombre de saisies de maisons aux Etats-Unis a connu un net accroissement cet été). Depuis toujours, ces transferts monétaires engendrent le reclassement social des individus, provoquant aussi bien les fortunes soudaines que les ruines retentissantes.
Auparavant, ce type de reclassement dépendait surtout de l'action des pouvoirs politiques. Dans notre cas, le pouvoir politique a, souvent dans l'histoire, usé de la contrainte pour stopper ce type de transfert en décrétant des moratoires. Le politique bloquait ou provoquait les reclassements sociaux par le prélèvement d'impôts et leur redistribution ou par l'octroi de dérogations, franchises, patentes, privilèges et monopoles. Ce type de contrainte n’est plus. Le pouvoir politique ne s’occupe plus que de ce que j’appellerais la petite redistribution (RMI, etc.). La grande redistribution, celle qui se fait par la libre circulation internationale des capitaux, intervient hors des circuits traditionnels contrôlés par les Etats. Elle ne fait effraction au grand jour que lorsqu’elle donne lieu à des scandales (LCTM en 1998, Enron en 2001, par exemple). En France, le scandale du Crédit Lyonnais (1993) a provoqué, par non remboursement de dettes, un enrichissement de 120 milliards de francs de l’époque pour certains – qui ont pris l’argent -- et une charge moyenne de 20.000 F par contribuable français pour régler l’ardoise et refinancer la banque.
A travers ce scandale apparaissent certains noms de patriciens d’aujourd’hui que la banque a aidé à s’enrichir. Dès 1984, elle finance M. Bernard Arnault pour l’acquisition du groupe Boussac, puis pour celle de Guiness, lui donnant ainsi la surface pour contrôler, par la suite, le groupe de luxe LVMH. En 1985, elle « sauve » littéralement Jean-Luc Lagardère qui courre à la faillite avec l’échec de la chaîne de télévision « La cinq » dans laquelle il est associé avec un autre symbole du capitalisme patricien, Silvio Berlusconi, devenu, envers et contre tout, chef du Gouvernement italien. La banque s’associe, en prenant des parts dans sa holding personnelle (Artémis), à un autre patricien français, François Pinault, devenu aujourd’hui (2007), avec 15 milliards de dollars, la 43ème fortune mondiale. Elle prend des intérêts également dans la holding (Cie des Glénans) d’un autre patricien devenu célèbre, Vincent Bolloré, pour avoir reçu sur son yacht, en été 2007, le tout frais président de la République française. Les démêlés de la banque avec Bernard Tapie à propos de leurs opérations autour d’Adidas ont fait la une des médias. Ce qui a pu apparaître comme des « fautes » de cette banque publique a conduit à mettre en cause la commission de contrôle de la Banque de France et le Trésor public. Un moment inquiété, l’ancien directeur du Trésor puis Gouverneur de la Banque de France, M. Trichet, devenu président de la Banque centrale européenne, fut définitivement exonéré en 2006. Ce cas n’est qu’un exemple parmi d’autres de cette nouvelle grande redistribution permise par le contrôle du crédit et de la monnaie. L’enrichissement pour certains, l’ardoise pour le contribuable.

2. L’autoritarisme monétaire

C’est cela le nouveau pouvoir de prélèvement qui fait les fortunes d’aujourd’hui. Les Etats eux-mêmes donnent l’impression de n’être devenus que des intermédiaires parmi d’autres qui nourrissent cette grande redistribution. En France, le Trésor acquitte annuellement 50 milliards d’intérêts à ses créanciers (17% de ses dépenses), sommes payées par le contribuable. L’Etat prend sur la baguette de pain et redonne aux financiers. Ajoutez-y les dettes des collectivités publiques (communes, etc.) et vous vous apercevrez qu’un sixième de votre baguette sert à les enrichir. J’estime aujourd’hui (2007) la dette publique mondiale à 40.000 milliards de dollars environ. Chaque année donc, les Etats reversent mondialement plus de 2.000 milliards de dollars en intérêts, sommes prélevées sur les contribuables. Ce que j’appelle le capitalisme patricien est ce système où l’Etat lui-même est dépouillé de son pouvoir de prélèvement, ne devenant que le délégué d’une couche sociale qui ne se contente pas d’empocher des bénéfices marchands mais s’approprie le plus normalement du monde une grande partie de la richesse que produisent des populations avec lesquelles elle n’a aucun rapport direct.
Tout le monde connaît l’histoire de Louis XIV et Nicolas Fouquet. Au lieu de rembourser son surintendant des Finances, plus riche que lui, le Roi Soleil l’a tout simplement mis en prison. Aucun Etat n’est, aujourd’hui, capable d’exercer une telle contrainte. Quand, plus tard, les politiques ont compris ce qu’était la monnaie de crédit (inventée à Amsterdam au XVIIème siècle par le Suédois Palmstruch), ils ont remboursé leurs créanciers avec de la monnaie de singe en utilisant leur pouvoir d’en créer à volonté (planche à billets). Certes, tout cela n’est pas toujours bénéfique aux populations et, particulièrement, aux plus laborieuses d’entre elles.
Depuis les années 1980, le vieillissement de la population a provoqué l’apparition de millions de retraités survivant longtemps après leur date de sortie du monde du travail. La planche à billets, en provoquant l’inflation, les a rendus misérables. Or, ils sont apparus, de plus en plus, comme une force électorale redoutable. L’ennemi politique est devenu l’inflation. De plus, la hausse des prix n’arrangeait pas la nouvelle dynamique financière qui se mettait en place. Taux d’intérêt et inflation ne font pas bon ménage. Lorsque les prix montent, le taux réel d’intérêt diminue et peut même devenir négatif. Il fallait donc réduire la hausse des prix à un niveau inférieur à celui des taux d’intérêt. Les pouvoirs politiques ont alors renoncé à la planche à billets, autant pour gagner les voix du « troisième âge » que pour aller dans le sens des financiers. Pour que les tentations de retour à « la planche à billets » soient écartées, ils se sont carrément dessaisis de leur pouvoir monétaire, le confiant à des non-élus, les experts des Banques centrales, devenues « indépendantes » (en France, 1993).
Ce renoncement à la planche à billets avait une douloureuse contrepartie : ne plus avoir de déficit budgétaire ou bien, sinon, lorsqu’on ne voulait pas augmenter les prélèvements fiscaux, procéder par emprunt. D’où le montant considérable des dettes publiques. Le gardien de cette pratique est la Banque centrale qui crie casse-cou et à l’inflation chaque fois qu’un Etat s’en écarte. Devenu emprunteur, l’Etat consacre alors une partie des impôts à payer les intérêts de ses dettes. De ce fait, ses créanciers prélèvent indirectement sur la population.
Devant réduire ses déficits, l’Etat se déleste par ailleurs de tous ses engagements économiques et d’une partie de ses actions sociales. Il « laisse faire ». C’est apparemment du libéralisme. En réalité, derrière ce libéralisme affiché par les politiques élus, se dresse l’autoritarisme des experts monétaires et financiers non-élus qui fixent taux, contrainte fiscale et normes de rentabilité.

3. Capitalisme de rente et couche patricienne

La dynamique amorcée depuis les années 1980 conduit non pas à davantage de libéralisme mais à:
- une remise en question de l’Etat comme instance autonome et sa transformation comme instrument direct de prélèvement au bénéfice des financiers ;
- un double déplacement du pouvoir :
a) celui régalien de l’Etat vers des instances d’autorité indépendantes et non-élues (Banque centrale notamment) décidant souverainement, à travers monnaie, crédit et taux, des règles de grande redistribution de la richesse. Ce pouvoir agit conjointement à l’action de milieux d’experts non-élus s’activant autour des monnaies, titres et produits financiers.
b) un déplacement du pouvoir des capitalistes directement engagés dans l’antagonisme de production matérielle vers une nouvelle couche de « patriciens », située en amont, à la tête de « holdings » financiers ou de fonds et banques tirant leurs bénéfices des dettes des entreprises et des Etats.
Dans cette nouvelle architecture, de nouvelles procédures d’injonction sont apparues et qui ne viennent pas des pouvoirs élus. L’expert enjoint à l’Etat d’adapter son mode de gestion politique et social à la nouvelle situation. L’expert enjoint aux entreprises des normes de rentabilité nouvelles, créer de la valeur pour les actionnaires et, pour ce faire, structurer autoritairement la production, le volume de l'emploi et la répartition de la valeur ajoutée.
Les lieux où se croisent experts et patriciens sont les banques d’affaires (Lazard, par exemple), maisons de Bourse et clubs fermés de réflexion (Aspen) où l’on procède à de nouvelles associations : des anciens hauts fonctionnaires devenus experts puis actionnaires s’y mêlent aux nouveaux golden-boys qui, tout en procédant aux montages d’opérations et de conseil au bénéfice des « patriciens » et des Etats endettés, deviennent leurs associés, recevant gratuitement des actions sous forme de stock-options. Ce qui se décide dans ces milieux fait loi. L’Etat français, par exemple, après avoir promis en 2004 de ne « jamais » céder sa majorité dans Gaz de France, y renonce finalement en 2007 et autorise le groupe financier Suez à absorber l’entreprise.
L’un des personnages toujours influent dans la finance française est Antoine Bernheim, associé-gérant de Lazard, vice-président du groupe bancaire italien Mediobanca et PDG des assurances Generali[9]. Il a beaucoup aidé à monter les groupes Arnault et Bolloré. Voici M. Jean-Claude Naouri au parcours exemplaire de cette nouvelle couche de patriciens : directeur de cabinet du ministre des Finances socialiste, Pierre Bérégovoy, il devient ensuite associé-gérant chez Rothschild pour finir aujourd’hui administrateur des banques HSBC et CCF et premier actionnaire et PDG du groupe Casino. M. Philippe Lagayette, président de la banque JP Morgan France et administrateur du groupe PPR (François Pinault) a été ancien directeur de cabinet de Jacques Delors, ancien sous-gouverneur de la Banque de France et administrateur de la Poste. Le célèbre Jean-Marie Messier fut chargé des privatisations dans le cabinet d’Edouard Balladur, alors ministre des Finances (1986), privatisations dont s’occupaient fébrilement par ailleurs les grands spécialistes des structurations de chez Lazard ou Rothschild. Très naturellement, M. Messier devient (1989) associé-gérant chez Lazard Frères pour finir PDG de Vivendi Universal (1994-2002). Terminons ces indications biographiques par celle de M. David Dautresme, actuel senior advisor chez Lazard, censeur Eurazeo, administrateur de Casino et membre du conseil de surveillance du groupe d’assurances Axa, où il côtoie un des plus éminents patriciens : M. Claude Bébéar dont on dit qu’il aurait contribué à mettre J.M. Messier dehors.
Ces liens de personnes à travers des structures d’affaires mêlant la finance et l’administration se renforcent autour des discussions de réflexion menées dans certains clubs comme Aspen France ou Aspen USA. Aspen France, animé par M. Michel Pébereau, PDG de la banque Paribas, peut faire croiser dans ses séances des adhérents comme François Henrot, associé gérant chez Rothschild, ou Jean Guyot, associé chez Lazard ou encore Hubert Jolin, vice-président de Vivendi, Thierry Breton, Jean-Claude Trichet, Jean-Louis Gergorin, Jacques Delors, Françoise de Panafieu, Nathalie Kosciusko-Morizet et enfin avoir des contacts avec Robert Mc Namara, membre d’Aspen USA, et ancien PDG de Ford, puis ministre de la Défense puis président de la Banque mondiale.

Conclusion

Ce capitalisme, dont les personnages éminents qui l’organisent et le contrôlent n’ont jamais affronté l’antagonisme direct de production, se structure autour de la circulation des signaux porteurs de retombées rentières. Il déborde la circulation monétaire et financière pour se porter vers la circulation des mots, images et sons, uniformisant autoritairement les contenus des informations et des programmes. Certaines de ses éminences se proclament leaders d’opinion en matière culturelle et, tout un symbole, en 2006, l’un des « patriciens » français – François Pinault, qui contrôle par ailleurs la maison de ventes Christie’s -- crée un musée à Venise pour y exposer les œuvres artistiques qu’il a acquises – le palais Grassi pour 29 millions d’euros. Simultanément, l’uniformisation autoritaire de la culture populaire par le bas condamne la « plèbe » à se nourrir de Star academy et autres Loft Story.
Une nouvelle couche sociale est donc apparue qui, au nom du savoir-faire et la compétence financière, a déplacé les lieux d’exercice de cette technicité. Auparavant, dans le capitalisme canonique, celle-ci était associée à une ingéniérie de production matérielle dans des usines. Depuis les années 1980, elle s’est déplacée en amont, vers les techniques monétaires et financières, l’ingénieur d’usine devenant un simple commis d’exécution d’injonctions formulées par des financiers. Ce sont ceux-ci qui détiennent le vrai savoir-faire. Les patriciens romains n’étaient pas des guerriers mais savaient gérer l’expansion romaine et en tirer les fruits. Les marchands vénitiens n’étaient pas des techniciens de la production mais savaient susciter l’apparition de lieux de production autour de Venise ou ailleurs, savaient organiser un commerce international et en tirer les bénéfices. Les patriciens du capitalisme de rente d’aujourd’hui évitent de diriger directement des activités de production. Ils se sont dotés d’un autre savoir-faire : contrôler la circulation des signaux, monétaires particulièrement, pour contrôler le reste et en tirer les bénéfices. Face à des Etats endettés, ils s’érigent aussi bien en financiers qu’en conseilleurs de ces Etats et les utilisent pour exercer leurs prélèvements, non seulement sur les entreprises, mais sur l’ensemble de la population. C’est pourquoi j’appelle cette forme « capitalisme patricien » où des non-élus détiennent les positions d’autorité éminentes acquises grâce à un enrichissement dû à un savoir-faire monétaire et financier.

Août 2007









[1] Pour cette notion, voir mon précédent article : « Le capitalisme de rente. Nouvelles richesses immatérielles et dévalorisation du travail productif », Les Temps modernes, Sept-Oct., Paris 1995.
[2] Selon une expression de l'économiste François Morin in Le nouveau mur de l’argent : Essai sur la finance globalisée, Seuil 2006.
[3] Voir le parcours exemplaire de J.M. Messier : de l’administration à la banque Lazard puis au conseil d’administration et à la direction d’une des plus grandes affaires de la fin du XXème siècle en France : Vivendi Universal. Voir aussi le rôle controversé d’un « expert » comme Alain Minc.
[4] Voir Routier , L’ange exterminateur, Albin Michel 2003
[5] Voir Raulin et Lecadre, Vincent Bolloré, enquête sur un capitaliste au dessus de tout soupçon, Denoël, 2000
[6] Voir Gay et Monnot, François Pinault, milliardaire. Les secrets d’une incroyable fortune, Balland 2006
[7] Voir mon article : « L’économie en question devant l’électronique », Économie et humanisme, Lyon, mai-juin 1986.
[8] On a appris ainsi que ses dépenses journalières se montaient à l’équivalent de 30.000 euros (« aider », payer billets d’avion et repas, séjours etc.), destinés à se constituer un capital social. Voir Routier, Le Flambeur : la vraie vie de Bernard Tapie, Grasset 1994. Sur les pratiques des fonds d'investissement (private equity) voir Tancrède, Œuvre à la financière, Theles, 2007
[9] Voir Orange, Ces Messieurs de Lazard, Albin Michel, 2006 et Cohan, The Last Tycoons : The secret History of Lazard and Co, Double day books, 2007

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Membres

Qui êtes-vous ?

Professeur d'Université depuis 1975 (Paris IX, Oran, Alger, Arras) Directeur général des Impôts (Alger 1989-91) Membre du Conseil de la Banque centrale (Alger 1989-91)