dimanche 1 avril 2012

Délocalisations et ré-industrialisation: que peut nous apprendre le marxisme ?


Délocalisations et ré-industrialisation: que peut nous apprendre le marxisme ?

par Ahmed HENNI, économiste

Au lieu de cultiver la nostalgie d’anciennes industries, il faut se tourner résolument et hardiment vers l’innovation et de nouvelles industries.



Ce qui pourrait s'appeler ré-industrialisation ou relocalisation de certaines activités dans les pays d'ancienne industrie est, généralement, approché en termes de fiscalité : il suffit de rehausser les barrières tarifaires, instituer un minimum de protectionnisme, etc. Ces propositions s'appuient sur une opinion de type mercantiliste pré-capitaliste déjà formulée au XVIIème siècle. Elles ne procèdent pas d’une analyse de la structuration actuelle du système capitaliste en voie de totalisation à l'échelle du monde. On peut saisir ce système dans sa totalité et construire une vision analytique systémique du problème de la division mondiale du travail. Il convient pour ce faire de déterrer les incontournables analyses de système qu'ont opérées certains marxistes comme von Borkiewicz (1868 – 1931) ou ricardiens comme Piero Sraffa (1898 - 1983).



L'idée centrale à réactualiser est que le système productif capitaliste mondialisé assigne aux différents capitaux installés dans divers pays des missions complémentaires : aux pays dits émergents ou à bas coût salarial la production de biens salaires bon marché destinés notamment aux salariés ou à la population pensionnée ou assistée des pays capitalistes développés; à ceux-ci une économie (tertiaire) de distribution de ces biens  et la production de biens haut de gamme ou de luxe. Une ré-industrialisation ou une relocalisation ne peuvent donc concerner les biens salaires. Si on le faisait, il faudrait par la suite, dans les pays capitalistes développés ayant adopté cette stratégie, les vendre beaucoup plus cher et, par conséquent, augmenter le taux de salaire ce qui réduirait le taux de profit du capital. La seule voie n'est pas la relocalisation de la production des biens salaires mais une nouvelle industrialisation dirigée vers la production de biens haut de gamme et de luxe, vendus, dans les pays capitalistes développés et ailleurs, aux couches sociales au revenu supérieur au revenu médian qui, historiquement, deviennent de plus en plus nombreuses.



Toutes les statistiques montrent que dans ces pays, et dans le monde, la richesse se concentre de plus en plus aux mains de quelques pour cents de la population et bénéficie à une grosse moitié de la population tandis qu'elle ne permet qu'un niveau de vie socio-historique de reproduction pour une autre moitié. De ce fait, celle-ci est contrainte de consommer des biens salaires de moins en moins chers. Dans un rapport publié lundi 5 décembre 2011, intitulé "Désunis nous restons : pourquoi les inégalités continuent de progresser", l'OCDE observe que "l'écart de revenus entre les riches et les pauvres a atteint son plus haut niveau depuis un demi-siècle". Outre-Atlantique, les 10% les plus riches gagnent en moyenne quatorze fois plus que les 10% les plus pauvres. En Italie, au Japon, en Corée du Sud et au Royaume-Uni, cet écart est de dix pour un et de six pour un en Allemagne, au Danemark et en Suède.



Empiriquement, la division internationale du travail, biens salaires et biens de gamme plus élevée, semble irréversible. Si l'on compare deux pays tels que la France et l'Allemagne, on observe que, malgré le doublement de la valeur de l'euro ces dix dernières années, l’Allemagne continue d'exporter des biens industriels de gamme de plus en plus haute alors que la France, produisant encore des biens salaires, perd des parts de marché chaque année. Les études faites sur l'automobile le montrent bien. Les firmes françaises visant une clientèle de salariés avec de petits modèles bas de gamme ont été obligées de délocaliser leur production. L'industrie automobile allemande recrute au contraire de nouveaux travailleurs en se spécialisant dans des modèles haut de gamme destinés avant tout aux classes européennes aisées. Les activités industrielles produisant des biens haut de gamme (maroquinerie, parfumerie, mode, bateaux de plaisance, etc.) restent toujours florissantes dans les pays riches. Des sociétés comme LVMH en France affichent des résultats constamment en hausse.



La structuration actuelle du capitalisme induit donc une nouvelle division du travail : aux nouveaux pays capitalistes (émergents) la production de biens salaires ; aux anciens trois missions : a) la valorisation de ces biens par une économie de services apte à les réaliser  par une vente aux salariés de ces pays et un système de crédit performant ; b) une activité de services de gamme élevée: banque, produits de luxe, soins médicaux et médicaments, hôtellerie, spectacles artistiques et sportifs, sports d'hiver, etc.;  c) une industrie réservée à la production de biens de haute technologie (espace, atome et armement compris, nanotechnologies) et
nouveaux produits liés à la construction, aux économies d'énergie, à l'agriculture (OGM par exemple), etc.





Il s'agit donc de penser « nouvelles industries » plutôt que relocalisation d'anciennes industries.

Membres

Qui êtes-vous ?

Professeur d'Université depuis 1975 (Paris IX, Oran, Alger, Arras) Directeur général des Impôts (Alger 1989-91) Membre du Conseil de la Banque centrale (Alger 1989-91)