vendredi 20 mars 2009

La dette et les salariés

Tribune libre - Article paru
le 10 février 2009
dans le journal L'Humanité

Par Ahmed Henni, économiste.


La formule courante, à propos de la dette publique, est de dire qu’elle pèse sur les générations futures. La réalité est tout autre : la dette pèse sur nous tous et maintenant. La dette génère deux types d’obligations pour l’État ou les collectivités territoriales : rembourser à terme les emprunts (ce qui peut se faire par un nouvel emprunt) mais payer immédiatement des intérêts annuels aux créanciers (ce qui se fait obligatoirement sur ressources fiscales réelles). Or, en France, l’État paie chaque année cinquante milliards d’intérêts (service de la dette) auxquels il convient d’ajouter cinq milliards environ payés par les collectivités locales. Autrement dit, quand l’État prélève cent euros d’impôts, il en consacre douze au paiement d’intérêts à ceux qui lui ont prêté de l’argent, très généralement des titulaires de capitaux financiers nationaux et étrangers (institutions financières, banques, assurances, caisses de retraite, fonds de pension).

Une deuxième formule courante consiste à dire que ces cinquante milliards d’intérêts correspondent au montant de l’impôt sur le revenu. Ceci laisserait à croire que seuls les citoyens qui paient l’impôt sur le revenu seraient affectés par le paiement des intérêts. Or, sachant que 50 % des contribuables sont non imposables sur leur revenu, cela reviendrait à dire qu’ils ne sont pas concernés par les charges de la dette et particulièrement les plus pauvres (smicards, érémistes, etc.). Tel n’est pas le cas. L’impôt sur le revenu n’est pas pré-affecté au service de la dette. Les intérêts de celle-ci sont prélevés sur le total des impôts et taxes. Quiconque acquitte un impôt ou une taxe, fussent-ils infimes, supporte la charge du service de la dette.

Autrement dit, tous les consommateurs qui supportent la TVA, les taxes sur carburants et autres droits contribuent au financement de la charge d’intérêts (en 2007, la TVA rapportait cent trente-six milliards et les divers impôts sur les produits près de soixante-douze milliards, soit 75 % des recettes fiscales brutes affectées à l’État). Pour ne s’en tenir qu’à la taxe à la valeur ajoutée, elle représente la moitié des recettes fiscales de l’État (la CSG et autres impôts « sociaux » en sont exclus). Cela veut dire que les consommateurs supportent, par le biais de la TVA, 50 % de la charge d’intérêts de la dette nationale (hors la dette locale et sociale). En s’appuyant sur les enquêtes auprès des ménages effectuées par l’INSEE, on peut, en considérant les dépenses moyennes par groupes de produits d’un ménage moyen, estimer que pour une dépense mensuelle de 1 000 euros, ce ménage acquitte 146 euros en TVA.

Or les intérêts de la dette représentent 18 % des recettes de l’État et, par conséquent, 18 % de chaque recette. Le ménage moyen qui dépense 1 000 euros par mois supporte donc, par le biais de la TVA, 18 % de 146 euros, soit 27 euros mensuels de charge d’intérêts de la dette (324 euros par an). La TVA étant proportionnelle aux dépenses, celui qui dépense 500 euros par mois contribue pour 13,5 mensuels au revenu des rentiers d’État, et celui qui dépense 2 000 euros y contribue pour 54 euros par mois. Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, pour chaque bouchée de pain ou litre de carburant consommés, un petit quelque chose va aux créanciers de l’État. Sur un litre de carburant à 1 euro, on acquitte environ 52 centimes de TIPP et TVA, soit 10 centimes environ pour les rentiers.

Ce ne sont donc pas seulement les générations futures ou ceux qui sont imposables sur le revenu qui supportent le coût de la dette mais bien l’ensemble des consommateurs, même smicards ou érémistes. Plus la dette est élevée, plus les intérêts augmentent, plus les dépenses des consommateurs, en majorité des salariés, contribuent à la rémunération des créanciers de l’État. Il y a parmi ces créanciers, outre des institutions financières et caisses de retraite, quelques fonds de pension d’outre-Atlantique. Un smicard de France contribue, malgré lui, à leur verser des intérêts. Un autre transfert est celui du smicard jeune au profit des caisses de retraite nationales. Ce système mondialisé, qui, par le biais des États, met en relation le smicard de France au fonds de pension américain, s’identifie à ce que j’appelle un « capitalisme de rente » où l’État est devenu un simple délégataire des rentiers.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Membres

Qui êtes-vous ?

Professeur d'Université depuis 1975 (Paris IX, Oran, Alger, Arras) Directeur général des Impôts (Alger 1989-91) Membre du Conseil de la Banque centrale (Alger 1989-91)