Sur la violence identitaire :
l'Hexagone peut-il contenir l'Empire colonial ?
Historiquement,
la France est un Empire qui a du se replier, se resserrer sur son
hexagone métropolitain et y accueillir des populations diverses
d'anciens sujets. Cette transformation démographique, due en partie aux
besoins d'un capitalisme industriel en mal de main d’œuvre, ne s'est
accompagnée ni d'une réflexion politique ni d'une gouvernance nouvelle.
Les élites politiques ont persisté à gérer l'Hexagone sur le mode de la
République une et indivisible. Elles n'ont pas préparé la société
française hexagonale à un mode de gestion impérial, fédératif de la
diversité. Aujourd'hui, le mode de la République une et indivisible
explose et la co-existence du multiple se construit par en bas, dans la
contradiction et parfois dans la violence.
Des
groupes sociaux se communautarisent tous seuls dans des banlieues.
D'autres groupes redécouvrent des identités de terroirs, de région ou de
pays que ce soit sur un mode politique, réclamant davantage de
décentralisation ou d'autonomie, ou sur un mode touristique : les pays
des Cathares, etc. Ce réveil des pays ferme une parenthèse
centralisatrice (depuis Richelieu et le siège de la Rochelle) ou
jacobine (l'exécution des Girondins accusés de fédéralisme). La réforme
territoriale remise chaque fois à plus tard montre que les élites
restent réticentes face à tout ce qui pourrait rappeler un fédéralisme.
Mieux, les discours anti-européens s'appuient sur les menaces que
représenterait un fédéralisme européen.
D'un autre
côté, l'Hexagone hérite de populations venues de l'Empire et qui,
aujourd'hui, résidentes à demeure et devenues françaises de nationalité,
introduisent des mœurs et des cultures étrangères à la République une
et indivisible. Or, faute de vouloir fédérer cette multiplicité dans un
empire hexagonal, les élites persistent à imposer une homogénéité
porteuse d'antagonismes divers, non seulement entre anciens et nouveaux
résidents mais, parfois, entre Français des différentes régions et pays.
La violence dite identitaire frappe aussi bien des territoires agités
par des courants nationalistes, que des groupes d'anciens résidents
vis-à-vis des nouvelles populations venues de l'Empire, traitées encore
socialement comme des « sujets », ou des groupes issus de ces
populations et estimant subir un déficit de reconnaissance ou encore des
groupes de catholiques ultra et d'autres encore.
Quand
ils ne pratiquent pas une violence armée, qui reste heureusement
ultra-minoritaire, ces groupes envahissent le paysage médiatique par des
invectives, rallument des guerres religieuses qui divisent plus
qu'elles ne rassemblent et ignorent les questions économiques. Or, cette
violence est le plus souvent exacerbée par les conséquences de la
désindustrialisation et les compétitions matérielles liées au nouveau
capitalisme mondialisé.
Ces antagonismes entre
groupes sociaux, qui construisent par en bas une multiplicité
contradictoire, conduisent à l'apparition rampante d'une société de
statuts, non déclarés, où chacun se réclame de droits et privilèges
particuliers, en réalité des rentes liées aussi bien à la couleur de la
peau qu'à la profession. Les aspirations de chaque groupe social à
maximiser sa part de consommation créent des oppositions et une violence
économique et culturelle qui, avec l'arrivée d'anciens « sujets » de
l'Empire devenus citoyens, grignotent souterrainement les fondements
égalitaires de la République une et indivisible et nourrit une
anti-modernité idéologique ou un néo-conservatisme qu'une partie de
l'élite intellectuelle et politique contribue à répandre.
Ces
fractions de l'élite légitiment ainsi une société de statuts de plus en
plus affirmée – n'a-t-on pas réclamé une « préférence nationale » ? ou
une distinction entre citoyens et « sujets » ? – sans que la gouvernance
de l'Hexagone suive. Des statuts existent déjà pour des professions et
des territoires (Alsace-Moselle sous concordat, statut personnel
musulman à Mayotte, projet de reconnaissance d'un peuple corse, octroi
d'un statut de quasi-paradis fiscal à Saint-Barthélémy, etc.).
Or,
l'alternative de gouvernance est là : persister à tout centraliser et
homogénéiser autoritairement par l'égalité, ce que contredisent les
pratiques sociales par en bas et les différentes revendications
corporatistes, communautaristes et statutaires, ou fédérer le multiple –
la première fête révolutionnaire a été une « Fête de la Fédération » –
tout en maintenant une égalité des territoires et de ce qu'il faut bien
appeler, à la suite des Girondins, des peuples.
Ahmed Henni, 16 janvier 2015
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