samedi 20 février 2016

Sur la violence identitaire : l'Hexagone peut-il contenir l'Empire colonial ?

Sur la violence identitaire :
l'Hexagone peut-il contenir l'Empire colonial ?

Historiquement, la France est un Empire qui a du se replier, se resserrer sur son hexagone métropolitain et y accueillir des populations diverses d'anciens sujets. Cette transformation démographique, due en partie aux besoins d'un capitalisme industriel en mal de main d’œuvre, ne s'est accompagnée ni d'une réflexion politique ni d'une gouvernance nouvelle. Les élites politiques ont persisté à gérer l'Hexagone sur le mode de la République une et indivisible. Elles n'ont pas préparé la société française hexagonale à un mode de gestion impérial, fédératif de la diversité. Aujourd'hui, le mode de la République une et indivisible explose et la co-existence du multiple se construit par en bas, dans la contradiction et parfois dans la violence.
Des groupes sociaux se communautarisent tous seuls dans des banlieues. D'autres groupes redécouvrent des identités de terroirs, de région ou de pays que ce soit sur un mode politique, réclamant davantage de décentralisation ou d'autonomie, ou sur un mode touristique : les pays des Cathares, etc. Ce réveil des pays ferme une parenthèse centralisatrice (depuis Richelieu et le siège de la Rochelle) ou jacobine (l'exécution des Girondins accusés de fédéralisme). La réforme territoriale remise chaque fois à plus tard montre que les élites restent réticentes face à tout ce qui pourrait rappeler un fédéralisme. Mieux, les discours anti-européens s'appuient sur les menaces que représenterait un fédéralisme européen.
D'un autre côté, l'Hexagone hérite de populations venues de l'Empire et qui, aujourd'hui, résidentes à demeure et devenues françaises de nationalité, introduisent des mœurs et des cultures étrangères à la République une et indivisible. Or, faute de vouloir fédérer cette multiplicité dans un empire hexagonal, les élites persistent à imposer une homogénéité porteuse d'antagonismes divers, non seulement entre anciens et nouveaux résidents mais, parfois, entre Français des différentes régions et pays. La violence dite identitaire frappe aussi bien des territoires agités par des courants nationalistes, que des groupes d'anciens résidents vis-à-vis des nouvelles populations venues de l'Empire, traitées encore socialement comme des « sujets », ou des groupes issus de ces populations et estimant subir un déficit de reconnaissance ou encore des groupes de catholiques ultra et d'autres encore.
Quand ils ne pratiquent pas une violence armée, qui reste heureusement ultra-minoritaire, ces groupes envahissent le paysage médiatique par des invectives, rallument des guerres religieuses qui divisent plus qu'elles ne rassemblent et ignorent les questions économiques. Or, cette violence est le plus souvent exacerbée par les conséquences de la désindustrialisation et les compétitions matérielles liées au nouveau capitalisme mondialisé.
Ces antagonismes entre groupes sociaux, qui construisent par en bas une multiplicité contradictoire, conduisent à l'apparition rampante d'une société de statuts, non déclarés, où chacun se réclame de droits et privilèges particuliers, en réalité des rentes liées aussi bien à la couleur de la peau qu'à la profession. Les aspirations de chaque groupe social à maximiser sa part de consommation créent des oppositions et une violence économique et culturelle qui, avec l'arrivée d'anciens « sujets » de l'Empire devenus citoyens, grignotent souterrainement les fondements égalitaires de la République une et indivisible et nourrit une anti-modernité idéologique ou un néo-conservatisme qu'une partie de l'élite intellectuelle et politique contribue à répandre. 
Ces fractions de l'élite légitiment ainsi une société de statuts de plus en plus affirmée – n'a-t-on pas réclamé une « préférence nationale » ? ou une distinction entre citoyens et « sujets » ? – sans que la gouvernance de l'Hexagone suive. Des statuts existent déjà pour des professions et des territoires  (Alsace-Moselle sous concordat, statut personnel musulman à Mayotte, projet de reconnaissance d'un peuple corse, octroi d'un statut de quasi-paradis fiscal à Saint-Barthélémy, etc.).
Or, l'alternative de gouvernance est là : persister à tout centraliser et homogénéiser autoritairement par l'égalité, ce que contredisent les pratiques sociales par en bas et les différentes revendications corporatistes, communautaristes et statutaires, ou fédérer le multiple – la première fête révolutionnaire a été une « Fête de la Fédération » – tout en maintenant une égalité des territoires et de ce qu'il faut bien appeler, à la suite des Girondins, des peuples.

Ahmed Henni, 16 janvier 2015

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Professeur d'Université depuis 1975 (Paris IX, Oran, Alger, Arras) Directeur général des Impôts (Alger 1989-91) Membre du Conseil de la Banque centrale (Alger 1989-91)