dimanche 18 mars 2012

Questions sur le capitalisme de rente

1° How do you analyze the present situation of rent capitalism?

La situation actuelle se caractérise par une hégémonie des rentiers et une relégation du travail industriel. Après s'être constitué une puissante force matérielle grâce au capitalisme industriel (1850-1970), les pays développés ont pu imposer leur souveraineté monétaire sur le monde (1971 pour les États-Unis d’Amérique). Ceci leur a permis d'émettre de la monnaie autant que de besoin, d'acheter les marchandises étrangères avec du papier et de permettre à leurs citoyens de s'endetter et consommer sans limite. Ce seigneuriage monétaire permet donc de consommer sans produire et vivre à crédit sur le reste du monde. C'est une rente.  Le travail de production matérielle se trouve de ce fait relégué ailleurs dans des pays exotiques (Chine par exemple). Sur ces rentes monétaires issues de l'exercice d'une souveraineté incontestée sur le monde et garantie par une force militaire sans précédent, viennent se greffer des rentes liées à la circulation de cette monnaie et que l'électronique vient amplifier et multiplier.  A son tour, la sécurité des mouvements monétaires exige une hégémonie souveraine forçant les autres États à laisser les revenus et les capitaux entrer et sortir librement. Cette liberté permet en fin de compte d'investir et de faire travailler les gens partout dans le monde tout en rapatriant de façon sûre les bénéfices. C'est pourquoi les entreprises industrielles peuvent se globaliser en fractionnant leur cycle de production dans différents pays. La conséquence en est une désindustrialisation des pays qui s'enrichissent grâce aux rentes de souveraineté. Si l'industrie régresse, elle est remplacée par des activités rentières de haut niveau scientifique qui permettent d'engranger des redevances liées aux brevets qui les protègent (logiciels, molécules, etc.).  Au départ donc des rentes de seigneuriage monétaire qui engendrent, grâce à une puissante souveraineté garante des différents droits, des rentes financières, scientifiques et culturelles.

2° In your opinion, how is the situation likely to evolve over the next 5 years?

On aurait pu penser que le monde globalisé se diviserait en deux : d'un côté, les pays rentiers à souveraineté monétaire hégémonique (États-Unis, Europe) tirant leur richesse de la puissance militaire, du seigneuriage monétaire, de la force de leur système financier, de la créativité de leur forces scientifiques et culturelles ; de l'autre côté, des pays dits émergents où l'industrie serait reléguée, pays qui seraient confinés dans la seule production matérielle. Tel avait été le cas jusqu'aux années 1980 lorsque les « dragons » (Japon, Taïwan, Singapour, Hong Kong) se contentaient de copier les produits. Tel n'est plus le cas. On observe en Chine une dynamique similaire à celle qu'ont connu les pays européens détruits par la Seconde guerre et qui se sont reconstruits en copiant d'abord et qui, dès les années 1960, sont entrés dans une économie de l'innovation et ont commencé à concurrencer les États-Unis dans l'aviation, l'automobile, la chimie, etc. La Chine ne se contente pas de copier les produits américains. Elle copie l'Amérique financièrement, culturellement, scientifiquement et militairement. Dans les cinq ans qui viennent on peut imaginer que les États-Unis, grâce à leur supériorité militaire,  conserveront encore leur seigneuriage monétaire et les rentes qui vont avec, que l'Europe, faute de puissance hégémonique, maintiendra difficilement les rentes de souveraineté liées à l'euro et sera obligée de s'aligner davantage sur les États-Unis, et, enfin, que la Chine entrera partiellement dans le monde de la rente technologique sans pour autant pouvoir tirer de rentes financières et culturelles.  C'est la situation européenne qui suscite le plus de pessimisme. Bien que dans la même situation, le Japon reste encore un pays de production matérielle, ce qui n'est pas le cas de l'Eurozone.

3° What are the structural long term perspectives?

Si ces tendances s’approfondissent à terme, on observera des bouleversements dans l'économie des brevets et du savoir. La Chine semble s'orienter vers une intensification de ses efforts de recherche dans tous les secteurs. La Russie peut aussi émerger dans ce domaine. Mais ces deux pays ne pourront pas encore, dans les vingt ans qui viennent, édifier un système bancaire et financier mondialement attractif ni susciter l'engouement des populations mondiales pour la culture chinoise ou russe. Ils ne pourront pas, non plus, dans les vingt ans, construire une souveraineté hégémonique sur le monde avec des forces militaires présentes partout et capables d'intervenir partout pour faire plier des récalcitrants. Le seigneuriage monétaire restera l'affaire des États-Unis. Ils seront, peut-être, seulement obligés d'en restreindre les dimensions et lui donner quelques limites.

Il convient d'y ajouter une brève présentation de l'auteur (3-4 lignes).

Ahmed Henni est docteur en économie de l'Université Paris I Panthéon Sorbonne. Il est professeur d'économie à l'Université d'Artois. Spécialiste des questions monétaires et fiscales, il a exercé les fonctions de Directeur général des impôts en Algérie et a été membre du Conseil de la monnaie et du crédit.

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Qui êtes-vous ?

Professeur d'Université depuis 1975 (Paris IX, Oran, Alger, Arras) Directeur général des Impôts (Alger 1989-91) Membre du Conseil de la Banque centrale (Alger 1989-91)